Maverick Oakman | Le Colonel Moutarde dans le salon avec le chandelier

Jour J
Douleur sourde. Sur sa langue, le gout âpre de la terre, la saveur ferreuse du sang, la texture envahissante des poils de l’arcanin qui l’écrase. Sous ses doigts déformés, le tissu rouge déchiré de la robe de Sharon. Dans ses poumons, trop peu d’oxygène. Au-dessus de ses cernes, des larmes séchées par la poussière et la cendre. Dans sa gorge le sanglot de l’impuissance et de la déchéance. Dans son esprit la volonté de tout abandonner là.

Jour J -35 ans
Le bris des assiettes raisonne dans la pièce, ponctuant les cris et insultes comme d’inquiétantes timbales. L’enfant est caché sous son lit, les mains sur ses oreilles. Le teddiursa de la famille est lové contre le corps du gamin. L’un et l’autre attendent. Un silence pesant trône dans la chambre du gosse. Un silence bien étrange, faisant écho aux cris et aux larmes.

Teddiursa et Maverick ne le savent pas encore mais, demain, il n’y aura plus que la femme du foyer pour l’habiller. L’époux aux mœurs légères, poussés dans les bras d’autres individus par l’acharnement au travail de son unique, aura été chassé de ses terres, finissant par trouver refuge à Céladopole où il ouvrira un refuge pour pokémons sauvages.

Jour J
- Rhinoféros !
Il court sans même s’en rendre compte. Trop tard. Il a agi trop tard. L’imposant pokémon s’effondre au sol. Il y a du sang, trop de sang. Dans sa course, il ne fait pas attention. Il se fait bousculer, roulant au sol en se protégeant le visage. Alors qu’il essaye de se relever, un galopa affolé passe un peu trop près, lui piétinant la main gauche au passage. Il crie, il hurle. Mais cela n’a pas d’importance. Il se relève et s’élance vers le corps de son compagnon de route.
- Non non non non non non non non non… Réveille toi mon grand ! Répond moi ! Rentre dans ta pokéball, on va te soigner ! Pims ! Pims, répond moi !

Jour J -24 ans
C’est quelque chose de tellement nouveau pour Maverick. En l’espace de quelques jours, toute sa vie s’est vue changée. Aujourd’hui, il porte le treillis militaire de Kanto, s’acharnant sur ce parcourt d’endurance préparé pour les jeunes recrues comme lui. A ses côtés, Sharon. Il ne sait pas ce qu’il aurait fait si elle avait refusé de le suivre dans ce changement total de carrière. Il l’aurait laissé partir, clairement, la laissant aux côtés de sa mère au laboratoire, mais il ne sait pas ce qu’il aurait fait sans elle.

Il arrive en haut du mur qu’il escaladait et, directement, se retourne pour tendre la main au lippoutou qui peinait un peu à le suivre. Il faut dire, tout cela, c’est clairement autre chose que les bancs de l’école de biologie sur lesquels ils étaient assis depuis plus d’un an déjà. Mais il est hors de question pour Maverick de se contenter de marcher dans les pas de sa mère. Tout ça, c’est trop de pression pour lui. Il ne veut pas de ce chemin tout préparé. Il veut tailler sa propre route à la sueur de son front.

Jour J
Il ouvre les yeux, le gout de la déchéance au fond de la gorge. Ça y est, il est mort ? Où est Sharon ? Il essaye de se relever. Son corps entier le supplie de rester allongé. Il ne l’écoute pas. Du regard, il cherche les siens. Il ne trouve qu’éphraïm et son équipe. Il va pour chercher ses pokéballs, espérant y retrouver ses compagnons quand l’horreur le frappe.

Là où devrait être sa main, il n’y a qu’un bandage serré. Il ne sent plus ses doigts. Il ne sent plus sa paume. Nerveusement, sa main droite vient essayer de retirer le bandage alors que son cœur s’emballe.

- C’est pas possible… ! Merde ! MERDE !

Jour J -2ans
- Qu’est-ce que vous me voulez ? Ça fait longtemps que j’ai tourné le dos à la recherche. Vous devriez plutôt vous entretenir avec ma mère pour cela, non ?
- Je finance peut-être les travaux de votre mère mais c’est pour votre statut de Colonel que vous êtes présent ici, Oakman. La guerre est à nos portes et nous n’avons pas tous le luxe de pouvoir rester à domicile. Les services de mon fils ont été sollicités, voyez-vous. Compte tenu de l’étroitesse avec laquelle nos deux familles travaillent ensemble depuis des années, je me disais que, afin de remercier le mécène de votre mère, vous seriez capable de faire un geste. Je veux que vous vous occupiez de mon fils, que vous l’entrainiez, que vous le protégiez.
- Je comprends votre peur, Monsieur. Mais vous devez comprendre que je ne peux pas faire de traitement de faveur. Les soldats qui font partie de mon unité ont tous des pères, des mères, des femmes ou des maris qui attendent leur retour sain et sauf.
- Que dirait votre mère si elle apprenait que ses recherches venaient à perdre tous ses financements alors qu’elles touchent au but ?
Un ange passe dans la pièce. Maverick assassine l’homme en face de lui de son regard. Il a beaucoup de griefs envers sa mère mais ce n’est pas vraiment comme s’il pouvait dynamiter sa carrière, n’est-ce pas ?
- Bien, comptez sur moi, Monsieur.

Jour J -32ans
- Maverick, je te présente Sharon ! A partir d’aujourd’hui, elle veillera sur toi.
- Un lippouti ?! Mais elle est trop laide, papa ! Je veux un dracaufeu, pas un lippouti tout pourri !
- Maverick, surveille ton langage, jeune homme ! Lippouti nous aide bénévolement depuis des mois au centre pokémon et son dresseur est malheureusement décédé il y a quelques semaines. Tu ne voudrais pas que, à cause de toi, Sharon ne se retrouve à la rue ? Tu es un bon garçon, je suis sûr que vous allez devenir très amis, tous les deux. Regarde, elle t’a même apporté une baie framby, en plus.

Jour J +2 ans
Un pas, puis l’autre. Maverick a la gorge serrée alors qu’il monte les escaliers jusqu’à l’étage qu’on lui a renseigné. L’étage où il pourrait retrouver Sharon. Il marche lentement. Il a l’impression que la pression atmosphérique est plus forte que d’habitude. Il y a du monde autour de lui mais pourtant il ne s’est jamais senti aussi seul. Dans ses bras, le lippouti sorti de l'oeuf que Sharon avait pondu peu de temps avant le jour fatidique.

« Sharon – Lippoutou du Colonel Oakman ». C’est ce qui est noté sur l’épitaphe. Il pose un genou au sol. Il n’y a pas vraiment de mots à prononcer ou quoi que ce soit du genre. En silence, il dépose une baie framby devant le nom gravé. Il a emménagé ici il y a quelques mois. Après tout, c’était la chose qui lui paraissait le plus logique à faire. La perte de son équipe lui a laissé un gout amer, un trou profond au fond de lui qu’il ne parvient pas à combler. Ainsi, il pourra être prêt d’eux, il pourra venir les voir quand il en éprouvera l’envie ou le besoin.

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