comme un orage qui vient rompre le silence (hilda)

Le cœur effroyablement lourd.
Qui grossit tant et si bien qu'elle le sent remonter jusque dans sa gorge.
A chacun de ses pas, elle a l'impression que ses jambes menacent de lâcher. Trop faibles pour supporter le poids de son corps. Le poids des remords qui s'écrasent contre ses épaules et viennent l'étouffer. Le poids des questions qui s’entremêlent dans son esprit, formant une bouillis de mots incompréhensible. Elle échange un regard incertain à son Osselait, agrippé aux pans de son pantalon, comme à son habitude. Il plonge ses grands yeux expressifs dans les siens. Elle soupire. Osselait avait débarqué dans sa vie au tout début de la guerre. Lorsqu'il était tout à fait impensable pour quiconque de se déplacer entre les régions sans un compagnon prêt au combat. Au fil du temps, elle s'était attaché à la créature.  Elle appréciait sa loyauté et ses silences. Plus qu'elle ne se l'avouait. Plus qu'elle ne le démontrait. Aimer quelqu'un d'autre qu'elle-même, en était-elle seulement capable ?
— Je sais ce que tu penses. Je m'apprête à faire la deuxième plus grosse erreur de ma vie.
La première fut d'avoir fuis cet endroit, quinze ans auparavant. Sur un coup de tête. Elle avait fait ses valises et laissé sa famille brisée derrière elle. Sans un mot. Souhaitant refaire sa vie, loin de cette maudite ville. Et pourtant elle avait songé revenir, à de nombreuses reprises. Mais, terrifiée, elle avait laissé le temps glisser entre ses doigts. Les semaines s'écoulèrent, devinrent des mois puis des années. Et, incapable de ravaler sa fierté, l'idée de revenir lui sembla alors totalement impossible. On ne pardonne pas une absence de quinze ans. Quinze ans, c'est long. Terriblement long. Et elle avait songé à sa fille, devenue bien assez grande pour la haïr à tout jamais, ayant pleinement conscience de la lâcheté dont avait fait preuve sa mère. Pourtant, les champs de lavandes si familiers se dressent à l'horizon. Lavanville. Hilda est de retour à Lavanville. Cette pensée lui fit gonfler le cœur davantage. Elle est de retour dans la ville qui l'avait vu naître, qui l'avait vu grandir, qui l'avait vu fuir. Elle aimerait que tout ceci ne soit qu'un affreux cauchemar. Elle se pince le bras, déjà rougit par toutes ses vaines tentatives de fuir ce mauvais rêve. Voilà deux jours qu'elle avait reçu un appel téléphonique inconnu. Voilà deux jours qu'elle avait entendu une voix familière à l'autre bout du fil. « Ta mère est très malade. Il faut que tu reviennes. »
Alors Hilda avait fait ses valises. Sans trop réfléchir.
Et ce n'est que maintenant, alors que ses pas la mènent au pas de la porte de sa maison d'enfance — sa vieille maison aux briques rouges et au lierre grimpant jusqu'à la cheminée — que la réalité vient lui frapper le visage. Une gifle glacée. Cinglante.

Elle souffle.
Elle toque.
Une minute d'un silence pesant.
Le poids sur ses épaules devient insupportable. Insurmontable.  
Elle pense à rebrousser chemin. A courir, loin, très loin d'ici. Fuir comme elle sait si bien le faire.
Mais la porte s'ouvre dans un grincement.
Comme un orage qui vient rompre le silence.
Une silhouette féminine inconnue et pourtant effroyablement familière se dresse devant ses yeux.
S'il le pouvait, son cœur exploserait dans sa cage thoracique.